jeudi 16 février 2012

Contribution de Pascal Arnac pour la séance « Discussion collective » de 15 février 2012

Je propose de revenir à des questions d’organisation économique en lien avec la problématique du commun. En revenant dans un premier temps sur le secteur des TIC dont nous avait parlé Philippe Aigrain, et plus particulièrement sur le mouvement des OSS (open source softwares ou logiciels libres), qui montre la possibilité d’une accumulation partagée selon un modèle économique très ouvert, et en proposant quelques réflexions sur les possibilités et conditions de nouveaux développements dans ce sens. Dans un deuxième temps, en m’interrogeant sur ce qui a été dit ou n’a pas été dit au cours du séminaire « du public au commun » sur les questions du marché, de la privatisation, de la régulation. Et ces deux temps de réflexion sont tout à fait liés dans mon optique : l’élargissement de la petite voie ouverte par les OSS me semble essentiel, et cet élargissement ne peut se faire que sur la base d’une clarification sur ces questions d’organisation économique.



Deux exemples de modèles économiques « ouverts », fondés sur une accumulation « partagée »
Philippe Aigrain nous avait parlé du secteur des TIC et du mouvement des OSS. Il avait expliqué comment ces OSS ont pu émerger, et comment favoriser leur maintien et leur développement. Mais, caractéristique sur laquelle je reviens, ce secteur des OSS, n’est pas isolé, séparé du marché. Des acteurs privés ou publics peuvent utiliser ces OSS, y contribuer, produire de nouveaux développements qui eux-mêmes seront disponibles à tous selon les règles de la licence GPL (general public licence) ou d’une autre licence de philosophie voisine et dont la finalité est de garantir un cercle vertueux de développements ouverts, donc d’accumulation partagée. Ce n’est certainement pas le meilleur des mondes (gigantisme capitalistique effarant et absurde des Facebook, Google et autres, menaces sur la neutralité du Net, etc.) mais cela montre qu’on peut imaginer un modèle hybride et ouvert, où vivent et inter-réagissent des acteurs et des biens privés, publics, communs.
J’ai proposé il y a plusieurs années un nouveau modèle d’organisation des services publics locaux (SPL) dits industriels et commerciaux (eau, assainissement, déchets, transports publics locaux, etc..) fondé sur des principes de mutualisation ouverte entre collectivités territoriales (par mutualisation ouverte, je désigne des coopérations transversales entre collectivités, qui transgressent les frontières des communautés et intercommunalités en place, donc en opposition à la mutualisation « fermée » qui se fait au sein de périmètres publics institutionnalisés). Cette mutualisation ouverte serait elle-même largement fondée sur le partage des connaissances, donc sur du commun immatériel, comme dans le cas des OSS, mais pas uniquement. Et comme dans le cas des OSS, ces coopérations se feraient selon des articulations complexes entre différents types d’acteurs (privés, publics, coopératifs), donc sans exclusion du marché, et selon un processus d’accumulation partagée, ou ouverte.
Qu’impliquerait vis-à-vis de la gestion publique et de la gestion privée, le développement d’un tel modèle économique dans ce domaine où les collectivités locales sont maitresses du jeu, si elles acceptaient de s’engager dans cette voie du partage, qui est différente de la voie du retour ou du maintien de la gestion publique intra muros ?
En ce qui concerne les acteurs privés : il s’agit clairement d’un mouvement qui renverserait les rapports de force entre collectivités et opérateurs privés transnationaux, qui se trouveraient dépossédés de leur avantage essentiel dans le domaine des connaissances, qui lui-même résulte de leurs pratiques de mutualisation entre leurs différentes exploitations au travers du monde. La perspective ultime serait donc en quelque sorte pour eux un capitalisme « dé-cognitivé », et la dilution des oligopoles, mais pas forcément la disparition des acteurs privés au sens large (acteurs coopératifs en particulier), puisque pourront se maintenir ceux qui accepteront d’entrer dans le jeu de cette mutualisation ouverte, et donc d’une accumulation partagée.
En ce qui concerne les acteurs publics, donc les collectivités territoriales :
• en termes d’efficacité : la mutualisation ouverte leur apportera des effets d’échelle inaccessibles dans le cadre des mutualisations fermées, quelque soit le niveau de l’élargissement des périmètres territoriaux, sauf à renoncer au principe même de l’organisation décentralisée des SPL et à aller vers des services publics organisés au niveau régional, ou national.
• En termes de démocratie : tout d’abord la possibilité de maintenir une organisation décentralisée, favorisant la proximité aux usagers et leur participation aux décisions locales ; et, au travers des coopérations transversales entre territoires, l’émergence d’une intelligence citoyenne indépendante des collectivités, donc la remise en cause de l’opacité de l’expertise publique au service des décideurs
A partir de ces deux exemples, celui réels des OSS, et celui virtuel à ce stade des « SPL ouverts », comment reprendre le débat sur la généralisation de tels schémas ? Deux ensembles de réflexions : • Sur les conditions d’émergence et de développement de ces systèmes économiques ouverts, donc sur leur faisabilité du passage à des coopérations ouvertes et à une accumulation partagée • Sur l’opportunité même de ce type de solutions, non exclusives d’une part de privé ou de marché, par rapport au combat anticapitaliste pour parler simplement

Généralisation ?
Un point clé est sans doute celui des modalités du passage au partage, pour des acteurs autonomes, indépendants les uns des autres.
Philippe Aigrain avait montré qu’à la base des développements des projets ouverts dans le domaine des TIC (les OSS, Wikipédia, etc.) il y avait une conjonction favorable : celle de « l’humanisme numérique » (les initiatives bénévoles et altruistes d’individus ou de communautés), et la préexistence d’infrastructures de collaboration, internet en particulier. Et dans ce contexte très favorable, le passage au partage est immédiat, inconditionnel, sans exigence de réciprocité. Ainsi, les licences de type GPL (general public licence) ouvrent le partage à tout utilisateur, avec pour seule condition que toute nouvelle extension sera placée sous le régime de la GPL. Et, dans le cas des OSS, ce pari sur la mise en place d’un cercle vertueux, avec in fine une réciprocité ou des retours effectifs (parmi les utilisateurs des OSS se dégagent de nouveaux développeurs d’extension aux OSS ou de nouveaux OSS, extensions ou nouveaux produits eux aussi ouverts), a été réussi.
Dans le cas des « SPL ouverts », ce seraient bien sûr les collectivités, autorités organisatrices de ces services et maîtresses d’ouvrage des investissements corollaires, qui peuvent être à l’initiative de ce mouvement. J’avais donné (cf. mon article septembre 2007 dans la revue Territoires d’ADELS) trois exemples de coopération ou mutualisation ouverte, autour des approvisionnements et achats, autour des programmes de R&D, autour des centres d’appels, trois exemples très différents pour montrer l’étendue et la variété des coopérations envisageables. Il est clair que dans certains cas (celui du partage des spécifications pour les achats et approvisionnements par exemple) le passage à l’ouverture peut être immédiat et inconditionnel (d’une réciprocité, pas d’autres conditions juridiques…). Mais dans d’autres (celui du partage des fruits des programmes de R&D par exemple, celui de la mise en place d’une infrastructure mutualisée de centre d’appels) l’ouverture ne pourra pas être immédiate, elle s’accompagnera sans doute d’une demande de réciprocité, les collectivités pouvant craindre, de la part des autres collectivités et opérateurs des comportements de passager clandestin. Mais alors des formules de transition sont envisageables, celles de « clubs collaboratifs à géométrie variable » avec droits d’entrée, l’essentiel étant d’aboutir à une dynamique d’ouverture à de nouveaux entrants, avec la visée finale (après un niveau d’amortissement des efforts des initiateurs) de l’ouverture totale. Paradoxalement les expériences de mutualisation de leurs programmes de R&D par les opérateurs de l’eau des USA (publics) ou du Royaume Uni (privés !), que je donnais en exemple dans mon article, peuvent servir de référence.
Les développements qui précèdent peuvent paraître terriblement triviaux… Mais il me parait important à la fois de saluer l’extraordinaire réussite du passage immédiat à l’ouverture survenue dans le domaine des OSS, et de reconnaître que ce sera peut être plus laborieux dans d’autres, et que des solutions de transition seront à découvrir…
A l’éclairage de ce qui précède, comment envisager la marche vers des systèmes d’accumulation partagée dans d’autres secteurs économiques, en quittant les domaines très favorables des TIC (parce que les infrastructures de la mutualisation préexistent, ou sont relativement accessibles) et des services des collectivités locales (parce qu’elles sont objectivement en situation d’initier cette mutualisation ouverte des SPL, le jour où elles consentiront à sortir du confort de la gestion publique strictement locale….), et en particulier comment l’envisager pour les secteurs industriels ou manufacturiers ? En d’autres termes comment imaginer les passage, pour prendre l’exemple des automobiles, des Clio ou Panda produites par les groupes Renault ou Fiat, à des Clio ou Panda « ouvertes », conçues selon des cahiers des charges ouverts, et produites par des réseaux d’entreprises, de statut coopératif ou privé, jouant le jeu du partage des innovations et de la mutualisation d’ infrastructures communes ? Il va de soi que le chemin ne pourra être que complexe, mais le paradoxe est que les discours en faveur de l’ESS se limitent généralement à en vanter les vertus sociales (cf. note 1 en fin de texte), mais sans explorer les voies d’une accumulation partagée entre ces entreprises. Ne pas poser cette question, ne pas tenter d’ouvrir ces voies, c’est reconnaître d’entrée que par rapport au schéma de l’accumulation capitaliste, ou par rapport au schéma des initiatives publiques centrales, schémas qui l’un et l’autre (concentration capitaliste d’une part, initiative publique centrale de haut niveau d’autre part) permettent de répondre au défi de l’efficacité industrielle, les schémas du partage, ouverts à des réseaux d’entreprises situées hors propriété publique centrale ou propriété privée oligopolistique, sont donnés perdants dès le début. Et in fine c’est reconnaître que le commun est persona non grata dans le monde industriel.
D’où les interrogations et commentaires qui précèdent, sur la base de l’exemple des OSS qui me parait être une belle réussite, mais fragile et terriblement isolée, et en reprenant le projet des « SPL ouverts » qui pourraient constituer (plus de 30 ans après l’émergence des OSS…) l’ouverture d’un deuxième front dans le combat pour des systèmes ouverts et déconcentrés, en attendant des développements plus difficiles dans les secteurs industriels classiques et dominants.

Opportunité ?


Modèles hybrides et ouverts versus compartimentation des secteurs ?
Ces modèles (TIC/OSS, SPL ouverts) sont donc ouverts (possibilité d’accueil de nouveaux entrants, hors monopoles publics et oligopoles privés) et hybrides (coexistence et interactions privé/public/commun). Le développement de tels modèles est-il opportun ? Ou est-ce simplement une voie adjacente et marginale, voire inopportune ?
Une voie différente, celle de la compartimentation des domaines, en proposant d’isoler des domaines associés aux droits fondamentaux et aux biens essentiels de ceux des biens marchands, avec exclusion du marché pour les premiers, est très souvent mise en avant, aussi bien du côté de la « gauche de gouvernement » (cf. la Déclaration de principes du PS d’avril 2008, qui propose à la fois la défense de l’économie de marché et l’exclusion du marché pour les services publics, cf. 1 en fin de texte) et au discours de la « gauche de gauche » ( par exemple les « manifestes pour l’eau publique» de la fondation Copernic, cf. note 2).
Plusieurs interrogations sur ces approches par compartimentation, et sur ce qu’elles impliquent en ce qui concerne le marché et la régulation :
• Régression ou avancée ? Faut-il renoncer au combat ancien pour l’égalité pour ce combat défensif qui vise à sauvegarder l’essentiel (i.e. les droits fondamentaux) ? Du pain et des jeux pour la plèbe ou bien sa part des richesses et des pouvoirs pour que chacun puisse satisfaire ses besoins, et en décider ?
• Arbitraire des délimitations et contradiction logique sur la régulation ? Dans son papier pour le séminaire, Ch. Laval avait rappelé les critères classiques de distinction des biens publics (non rivalité, non « excludabilité », présence d’externalités). Je reviens sur celui des externalités pour dire qu’aujourd’hui, compte tenu de l’extraordinaire resserrement des contraintes qui pèsent sur nous, aucun bien ne peut plus être considéré comme exempt d’externalités. La conséquence en est que tout bien, tout secteur économique, doit être soumis à la régulation publique. On peut concevoir que l’intervention publique sera plus forte, plus vigilante, pour certains biens, mais c’est simplement une différence d’intensité, des différences de modalités, et la régulation ou l’intervention publique au sens large doivent s’appliquer à tous les secteurs économiques, et l’échec n’est permis dans aucun domaine. Si les distinctions (biens publics-essentiels)/(biens marchands-non essentiels) s’estompent, deviennent affaire d’intensité et de modalités et non de grands principes ou d’essences mystérieuses, comment se justifie alors l’exclusion du marché, systématiquement énoncée mais rarement ou jamais argumentée (cf. note 2 en fin de texte sur le manifeste Eau/Copernic) lorsqu’on traite des biens dits essentiels ? Sans doute par l’hypothèse implicite que la régulation des marchés est impossible, que c’est un leurre, que toute acceptation d’une once de décentralisation et d’initiative privée ne peut qu’aboutir à un marché libéré des contraintes régulatrices, ou, en d’autres termes, qu’il n’ y a pas d’autre marché que le marché néolibéral dominateur, global, dérégulé, etc.. Mais alors il faut aller au bout de cette logique, et exprimer comme cible non la sanctuarisation des secteurs dits essentiels, mais l’éradication complète de toute forme de marché, pour tous les biens.
En conclusion : la violence des attaques néolibérales (contre les systèmes de solidarité, les services publics, etc.) expliquent cette focalisation sur l’essentiel, le fondamental, et de là cette approche de compartimentation, mais cela me semble correspondre :
• Soit à un combat défensif, partiel
• Soit à un non-dit : une stratégie d’éviction progressive et totale de toute forme de marché, et le choix d’une économie administrée

Retour sur le marché, la régulation, la privatisation, etc. :
Les mots marché, marchandisation, privatisation sont généralement utilisés au sens qu’ils ont sous le régime du néolibéralisme triomphant (marché dérégulé ou désencastré, privatisation au sens non pas d’un recours maitrisé à des acteurs privés pour l’exécution de telle ou telle tâche, mais au sens du transfert complet d’un domaine au capital, etc.). Pourquoi pas lorsqu’on est dans la phase militante de la dénonciation des horreurs du libéralisme. Mais, comme déjà exprimé, se limiter à ces acceptions correspond à poser en a priori l’échec inévitable de toute tentative de maitrise des marchés.
Et on risque alors d’occulter plusieurs questions connexes : • Celle de la décentralisation, ou du fractionnement, ou de l’horizontalité : toute situation où se trouvent confrontés à la demande de biens et de services différents acteurs réellement autonomes, hors situations de monopole, est une situation de marché, quelque soit la nature et le statut de ces acteurs, publics, privés, coopératifs
• Celle de la régulation : tout marché doit être régulé, au sens fort (réglementation, régulation au sens de la conduite des processus, et intervention publique directe)
• Celle d’une définition du niveau acceptable des initiatives privées : pourquoi ne pas reconnaître qu’au prix d’une régulation effective et contraignante (interdiction de la concentration privée au-delà de certains seuils, suppression de l’héritage pour la propriété privée de moyens de production, limitation de la profitabilité, etc.), il puisse rester une place, aussi réduite soit elle, pour les initiatives économiques individuelles et privées ? Et inversement pourquoi une SCOP (qui n’est qu’une entreprise commerciale, SA ou SARL, avec une surcouche de règles de gouvernance sociale pas très contraignante), et plus généralement toute entité de l’ESS, seraient-elles exemptes de dérives possibles ?
• Celle du bon fonctionnement démocratique de nos sociétés : nombre d’interventions au cours du séminaire ont montré le lien entre le commun et les mouvements sociaux, et avec la démocratie participative, et c’est fondamental. Mais la régulation procède aussi de la démocratie représentative, et faire un trait sur la démocratie représentative, sous prétexte de ses errements et de ses échecs, c’est à nouveau admettre l’impossibilité de la régulation, et c’est à nouveau aller vers l’éradication complète de toute forme de marché, ou vers le renoncement au ré-encastrement de ces marchés.

En résumé : Les questions que je me pose se rattachent pour l’essentiel à la question très simple du maintien d’un certain niveau d’individualisme économique au sein du système cible post émergence des communs. Ce système cible est-il un système public/commun, après éradication complète de toute forme d’individualisme, ou un système hybride public/commun/privé ? Dans cette seconde option, est-ce un système pseudo hybride, dans une optique de compartimentation, de sanctuarisation de certains secteurs ? Où est-ce un système hybride au sens de ce qui se dessine autour des OSS et de ce que je propose pour les « SPL ouverts », c'est-à-dire avec le (privé/marché) totalement ré-encastré, mais pas complètement rejeté avec la mauvaise eau du bain néolibéral, financier, actionnarial, etc..?
Et dans cette dernière option (basique et peu poétique…) aucune recette miracle, le succès réside dans les actions conjuguées venant du haut (régulation) et du bas (participation), avec une place très importante de mon point de vue pour des systèmes ouverts d’accumulation partagée (sur le modèle des OSS), comme alternative à la concentration capitaliste et à la centralisation publique.

Notes annexes :


1. Déclaration de principes du PS (avril 2008)
Extrait :
Art 6
Les socialistes portent une critique historique du capitalisme, créateur d’inégalités, porteur d’irrationalité, facteur de crises, qui demeure d’actualité à l’âge d’une mondialisation dominée par le capitalisme financier.
Les socialistes sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux. Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, un secteur public, des services publics de qualité, un tiers secteur d’économie sociale.
Les socialistes affirment que certains domaines de l’activité ne peuvent relever du fonctionnement du marché, quand ils concernent des droits essentiels. Les socialistes font de la création durable et de la redistribution des richesses un enjeu majeur de l’action politique. Ils pensent que les politiques participant aux enjeux environnementaux doivent être coordonnées par la puissance publique garante du long terme et de l’intérêt général.

Commentaires :
par rapport à la problématique de mon papier :
• La référence au « tiers secteur d’économie sociale » montre bien le rôle assez secondaire de ce secteur, cantonné aux bonnes œuvres. Et cela n’intègre pas du tout la perspective que je me suis efforcé de présenter, celle du développement d’un secteur coopératif ouvert, généralisation du mouvement des OSS.
• L’affirmation selon laquelle les « domaines correspondants aux droits essentiels ne peuvent relever du fonctionnement du marché » semble confirmer que pour les rédacteurs le fonctionnement du marché ne pourrait être maîtrisé, d’où son exclusion. La régulation serait donc un leurre … mais elle est invoquée avec force en début d’article … contradictions ?
• Mais il y a une cohérence de marketing politique… Le soutien de l’ES et l’exclusion du marché pour les droits essentiels (s’il s’agit bien de cela) sont des marqueurs de gauche dans le discours, posés pour équilibrer l’éloge du secteur privé.

2. Manifestes pour l’eau publique, Fondation Copernic
Commentaires :
On retrouve en de multiples endroits, parmi ces 10 ou 12 manifestes, l’enchainement ci-après : « l’eau est un bien commun, le droit à l’eau doit être garanti, et donc la gestion doit en être publique ».
J’agrée avec les deux premières affirmations, mais je doute que le « donc » qui assure la transition puisse se passer d’une explicitation, d’une justification.
J’ai tenté de développer l’explicitation/justification par l’échec annoncé de toute tentative de régulation, qui conduirait alors fatalement et logiquement à l’éradication de toute forme de marché.
Autre « justification » esquissée par Anne Le Strat en introduction du Manifeste, celle du refus de tout profit par un opérateur privé, à partir de l’exploitation d’un service dont les équipements ont été financés par les usagers. Mais là encore on aboutit à une aporie… Sauf à imaginer que tous les opérateurs auront tous et partout à peu près la même efficacité, on ne peut refuser le recours à un opérateur (quelque que soit son statut) qui proposerait les prix les plus avantageux pour les usagers, grâce à une efficacité plus grande, et tout en prélevant son profit… sauf à adopter une posture strictement morale qui là encore, comme le postulat de l’échec de toute régulation, conduirait au renoncement à toute forme d’économie non administrée…
L’examen de ce recueil laisse donc perplexe : les objectifs (la défense du droit à l’eau, l’amélioration de la gestion écologique des eaux, l’appel à une plus forte participation des usagers, etc…) sont incontestables, nombre des critiques exprimées sont justifiées (en particulier celle du modèle français, de la DSP (délégation de service public) et de « l’oligopole de l’eau »). Mais aucune analyse de ce que pourrait être le recours à des opérateurs (coopératifs, ou privés) indépendants des collectivités selon des contrats tout à fait différents de ceux de la DSP, et dans le cadre de la mutualisation ouverte par exemple… ; la gestion publique directe est la seule voie retenue, avec l’invocation d’une démocratisation de cette gestion, malgré l’obstacle que représente, pour cette démocratisation, la confusion des rôles (la collectivité à la fois « autorité organisatrice » et opérateur).

Deux extraits du manifeste ci-après :
Introduction, Anne Le Strat, pages 5 et 6 :
L’économie de l’eau (propriété de la ressource, production, distribution, assainissement et protection) doivent être sous maîtrise de la sphère publique. La gestion publique, affranchie d’intérêts privés, garantit en effet une plus grande maîtrise opérationnelle et tarifaire au nom de l’intérêt général. ………. Peut-on admettre que le service de l’eau repose sur des investissements financés par l’usager pour, in fine, permettre à des entreprises multinationales en position souvent de quasi monopole sur un marché captif de créer de « la valeur pour l’actionnaire » ?
Commentaires :
• la première partie est reprend l’affirmation « maîtrise publique = gestion publique », sans explicitation
• la réponse à la question en deuxième partie est bien sûr négative ! Mais pour un débat complet il aurait fallu poser la même question pour tout opérateur détaché de la collectivité, coopératif, public ou privé, non dominant sur le marché, et apporter là encore une réponse négative…
Il semble que le combat politique contre une mauvaise gestion privée (DSP, oligopole, etc.) l’emporte sur l’analyse.

Postface, Danielle Mitterrand (page 157) :
Les trois principes fondamentaux de la charte s’énoncent ainsi :
1) l’eau n’est pas une marchandise, l’eau est un bien commun non seulement pour l’humanité, mais aussi pour le vivant ;
2) afin de garantir la ressource pour les générations futures, nous avons le devoir de restituer l’eau à nature dans sa pureté d’origine
3) l’accès à l’eau est un droit humain, fondamental, qui ne peut être garanti que par une gestion publique, démocratique et transparente, inscrite par la loi
Commentaires : l’inspiration est certainement généreuse, mais ici encore les affirmations prennent le pas sur l’analyse.

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